Dans la circulation routière de Bamako, par ces temps de grandes difficultés socioéconomiques, il faut aux automobilistes une extrême vigilance pour éviter d’écraser les mendiants, en particulier les petits enfants déversés dans les rues à la recherche de la pitance.
Malgré qu’elle soit officiellement interdite, la mendicité prend de plus en plus de l’ampleur à Bamako. De nos jours, il est très difficile de se promener dans les rues de la capitale malienne sans croiser un enfant mendiant. Ce phénomène devient inquiétant pour les Maliens au regard de son évolution dans la société.
Le phénomène devient un danger public lorsque ces indigents s’accrochent aux véhicules au niveau des feux tricolores. Ce sont généralement des petits enfants, dont des jumeaux qui se faufilent entre les voitures, s’arcboutant sur les portières pour quémander aux conducteurs des pièces de monnaie. Et, lorsque le feu passe au vert, certains automobilistes frôlent des accidents, avec le risque réel de tamponner ces mendiants.
Mendiants provoquant des accidents de la circulation
C’est la scène à laquelle nous avons assisté la semaine dernière au niveau des feux tricolores de Daoudabougou, non loin de l’ambassade d’Algérie. Il s’est agit d’une horde de petits mendiants qui se faufilaient (poussés par leurs mamans) entre les voitures, chacun pressé de gagner sa pitance. Et, comme la circulation était dense, un automobiliste a failli écraser deux petits enfants, qui s’étaient retrouvés à quelques centimètres des pneus arrière de sa voiture, au moment où le feu passait au vert. Ce fut presque par un miracle qu’il a pu éviter le drame, grâce au cri d’autres usagers de la circulation. Des cas similaires se multiplient dans la circulation de la Cité des trois caïmans et interpellent les autorités chargées de la protection de la famille et de l’enfant et des autorités chargées de la réglementation de la circulation routière.
Au-delà du caractère dangereux de ce phénomène, l’on se pose des questions sur les causes de la mendicité. Quels autres risques ces enfants encourent en errant dans la circulation, bravant les intempéries ? Quelles solutions durables pour endiguer ce phénomène dans la société ? Autant de questions qui ont été soulevées dans notre enquête. Lisez !
Autrefois, certains voyaient la mendicité à travers son aspect éducatif. Elle avait été instituée pour inculquer une certaine endurance, l’humilité, la modestie, chez les enfants. En un mot, elle était utilisée pour amener l’enfant à adopter des principes de bonne conduite dans la société. D’autres y voyaient, une dimension traditionnelle et religieuse ancrée dans la société. Mais, aujourd’hui, la réalité est toute autre.
« La plupart de ces enfants censés être encadrés par les marabouts, n’apprennent rien », nous a indiqué Mohamed Koné, Chef de famille à la retraite à Djélibougou Doumazana. Selon lui, au lieu de les enseigner, les sourates et les hadiths du prophète Mohamed (PSL), les enfants sont envoyés par leurs maîtres coraniques pour aller chercher leurs prix de condiments. « Finalement, c’est la rue qui éduque les enfants et non les marabouts », a-t-il fait constater. Avant de conclure que c’est un phénomène inquiétant aujourd’hui quand on sait que l’insécurité et la criminalité sont devenues monnaies courantes dans les villes.
Les témoignages de certains enfants talibés sont poignants et illustrent leurs drames. Agé de 9 ans, Moussa Dolo, originaire de pyan (village de Bandiagara), a raconté comment il est venu dans la mendicité. « J’ai quitté mon village pour apprendre le Saint Coran avec d’autres enfants. Mais, une fois chez le maître coranique, j’ai vite compris que je devais chaque jour, à force de mendier ramener une certaine somme. Mes amis et moi, marchons, souvent de 2 à 3 km par jours pour aller mendier, afin de ramener quelque chose au maître coranique », a-t-il dit. Avant d’ajouter que son site de prédilection est la portion de la route de Koulikoro, située à Djélibougou. « Ici, les enfants mendiants se regroupent par affinité et montent à l’assaut des véhicules qui se font prendre part le feu rouge », a-t-il précisé, avec un air insouciant.
Mais, à la question de savoir où va l’argent collecter dans la journée, le regard du petit Moussa Dolo a changé. De la joie, il s’est assombri. Et, dans une voix qui n’arrivait pas à cacher les larmes qui lui viennent dans les yeux, il déclara : « Tous les petits mendiants sont tenus de réunir 1000 FCFA comme recette journalière fixée par le maitre coranique, avant de retourner au domicile de ce dernier, sis à Banconi ». Malgré son air d’enfant, il est très malin. Déjà, il la capacité de discerner le danger qui attend le malheureux qui n’aura pas apporté la somme fixée. « Soit il reste dehors ou soit il rentre à la maison et s’expose au châtiment de son maître. Mais, la réalité est connue de tous. Sans cette somme de 1000 FCFA, il est hors de question de retourner à la maison au risque d’être sévèrement puni. Dans ce cas, on arpente souvent tous les quartiers de la commune I du district de Bamako pour réunir la somme souhaitées », a-t-il fait savoir.
Sûrement, c’est ce qui explique le fait qu’on voit souvent des petits mendiants arpentés nos rues à des heures indues. « Nous n’avons jamais l’intention de rentrer au bercail malgré la nuit sans la somme de 1000 FCFA », a-t-il dit.
De son côté, Salam Diarra, mendiant, âgé de 7 ans, a indiqué qu’il mendie chaque jour de 6h30 jusqu’à la tombée de la nuit. « Jouer, pour nous les mendiants est un luxe », s’est-t-il lamenté.
Accusés, les maîtres coraniques se défendent. Karamoko Bamodi, maître coranique à Banconi, pense que la mendicité des enfants n’a pas commencé aujourd’hui. Selon lui, elle remonte depuis l’époque des Sékou dans l’empire peul du Macina. Mais, ce qu’il ne dit pas, la forme de la mendicité a changé. A cette époque, personne ne peut dire que les maîtres coraniques exploitaient les talibés. Au contraire, de peur de dieu et des sanctions divines, ils se battaient pour donner les meilleures conditions de vies et d’études à leurs talibés. « Nous envoyons les enfants mendier afin de subvenir à leurs besoins, car nous n’avons pas les moyens et que nous devons héberger une vingtaine d’élèves et souvent plus », s’est-t-il défendu.
La mendicité remonte aux temps anciens
L’iman de la mosquée de Doumanzana, que nous avons rencontré, a indiqué que « Historiquement, la mendicité remonte au Mali depuis l’époque des Sékou Amadou, Sékou Oumar et Sékou Salla dans l’Empire peul du Macina ». Selon lui, les enfants qui fréquentaient l’école coranique, c’est-à-dire les talibés, devaient aller de porte en porte pour quémander leur nourriture.
Dans le même élan, il affirmera que « la religion n’encourage pas du tout la mendicité et quand on pousse loin, elle a condamné et interdit la mendicité, surtout au vu de ce qu’elle est devenue aujourd’hui ». Qu’à cela ne tienne, il dira que néanmoins quand une personne n’a aucun moyen et aucune source de revenus, la religion l’autorise à mendier pendant un certain temps. Mais, l’interdit formellement d’en faire une activité.
L’iman a indiqué qu’auparavant la mendicité rentrait dans le cadre de la formation et avait pour but « de former les enfants à un certain mode de vie qui les préparait aux difficultés de la vie ».
« La mendicité des enfants est un grave problème pour les citoyens. Sans encadrement et laissées à eux-mêmes, ils finissent par devenir des voyous, des délinquants et des voleurs », nous a indiqué Moriba Traoré, citoyen résident à Hamdallaye ACI.
De son côté Kadidia Diarra, mère de famille, à Lafiabougou, a estimé que la situation des enfants mendiants est dramatique. « Ça fait pitié de voir ces enfants innocents errer dans les artères de la ville de Bamako pieds nus et dormir à même le sol, à croire qu’ils n’ont pas de lieux où vivre », s’est-t-elle lamenté.
Organisation de la société civile, engagée dans la défense des droits des enfants, la coalition malienne des droits de l’enfant (COMADE), condamne fermement la mendicité des enfants. « La mendicité sur la voie publique est interdite au Mali. L’incitation d’un mineur à la mendicité est répréhensible d’une peine allant de trois mois à un an d’emprisonnement », nous a indiqué un responsable de la COMADE.
Il faut noter que la problématique de la mendicité est très complexe car pour nombreuses personnes, elle est une émanation de la religion et des traditions multiséculaires qu’il convient de respecter. Que faire pour minimiser les effets pervers de ce phénomène qui gangrène notre société, à défaut d’y remédier? Les autorités ne devraient-elles prendre des mesures drastiques pour dissuader la mendicité, surtout celle de ces personnes qui ont la possibilité de travailler pour survenir à leurs besoins ? Il est temps que les autorités de la transition se penchent sur la question.
Lamine BAGAYOGO
Source: Mali-Horizon